Comme on était dans l’appartement depuis longtemps, très longtemps (je ne me souviens plus), et que c’était le premier jour de sortie, Maman s’était attaché les cheveux en queue de cheval et Papa s’était rasé de près.

Je ne savais pas où l’on devait aller et mes parents m’avaient dit que ce serait une surprise. J’étais très impatient dès le réveil.

En douce, Maman avait chargé la voiture et mis divers sacs dans le coffre. Lorsque ce fut terminé, elle nous dit « Allez, en voiture ! » Elle vérifia que j’avais bien pris mes lunettes de soleil (il faisait un temps superbe et très chaud), ma casquette (inutile de vérifier, celle-là ne me quittait jamais), que j’avais bien lacé mes baskets, etc. etc.

Et puis on est monté dans la voiture de Maman. C’est elle qui conduisait. Elle a démarré, pris la direction de La Bastille. Ouh là, ça faisait un moment que je n’étais pas sorti, alors je regardais les rues, les gens masqués pour la plupart qui déambulaient, sans doute juste pour le plaisir de marcher, sans but précis.

Craintif, je demandais :
« Et l’école ?
– On verra ça un autre jour, me répondit Papa.
– Et votre travail ?
– Pareil. Aujourd’hui, on va prendre l’air, loin de la ville, loin de Grenoble. Tu vas adorer.
– Carrément, Papa ! »

Maman conduisait tranquillement. On dépassa la Bastille, direction Voreppe, puis la Placette en direction de la Chartreuse. Je regardais les montagnes, si belles sous le soleil, je ne disais rien. Je savourais.

Au bout d’un moment :
« On va chez Mamy et Papy ?
– On passera peut-être leur faire un coucou prudent en rentrant ce soir, mais non, on va ailleurs.
– On va pourtant bien à Entre Deux Guiers ?
– Juste à côté, dit Maman. Là où je vivais enfant.
– Ben, c’est à Entre Deux Guiers !
– Non, quand j’avais ton âge, je vivais à Saint Christophe la Grotte. C’est juste à côté.
– J’y suis déjà allé ?
– Oui, chez ma Tatan, mais tu étais petit. Je ne sais pas si tu t’en souviens.
– Non.
– Alors tu vas découvrir. Tu verras, c’est très joli. »

Les lacets de la montée de la Placette étaient interminables. Mais une fois passé Pommier, la route redevenait quasiment plate. Papa me dit :
« Sais-tu ce que nous allons faire aujourd’hui ?
– Non.
– Et tu veux le savoir ?
– Oui, oui, oui. Carrément !
– Carrément ?
– Oui !
– Alors je vais te dire… »

Papa m’expliqua le programme : tout d’abord, nous allions nous arrêter au Pont Romain. Un petit pont qui n’a sans doute pas été construit par les Romains, selon mon père. Il veut nous photographier sur le pont, Maman et moi.
Après on ira se promener sur la Voie Sarde.
« C’est quoi Papa ?
– Une immense rampe qui monte le long de la montagne et qui rejoint les grottes de Saint Christophe.
– On va aller dans une grotte ?
– Non les grottes sont fermées, à cause du virus. Mais tu verras, la Voie Sarde est très belle et très grande. Et il y a un énorme monument dédié à l’ancien Duc de Savoie, Charles Emmanuel II. Ça va te plaire ! Par contre, attention, il risque d’y avoir du monde, alors on garde les distances.
– OK Papa ! Et après, on fait quoi ?
– Je ne te dirai pas. Surprise ! »

Bon, alors on verra bien.

Nous étions arrivés. Maman avait garé la voiture, Papa avait pris la photo sur le Pont Romain, en m’expliquant qu’il s’agissait de l’ancienne frontière entre la Savoie et la France. Puis nous nous étions dirigés vers la Voie Sarde. Papa n’avait pas menti, cette montée m’impressionnait beaucoup. Alors que nous marchions toujours plus haut, je m’imaginais en Romain, en campagne en Gaule comme dans Astérix. Lorsque nous sommes passés devant deux grosses cavités, j’ai demandé à mon père si c’étaient les grottes. Il m’a expliqué que non, juste de gros trous que nous sommes allés voir de plus près. « Les grottes sont tout en haut », a-t-il complété.

Plus loin, nous nous sommes arrêtés devant le monument du Duc de Savoie. J’avais bien du mal à comprendre ce qui était écrit !

Nous avons continué jusqu’au bout de la voie pour voir l’entrée des grottes, puis nous sommes redescendus dans la vallée. Comme nous marchions en regardant le panorama, la colline de Miribel, la vallée, Maman m’a signalé un terrain : les pommiers de Mamy.

Il était midi lorsque nous sommes arrivés à la voiture, garée tout en bas.
« Alors, on va où maintenant ?
– Pas très loin, tu verras bien dit Maman en se mettant au volant avec un grand sourire. »

Nous avons roulé quelques minutes, puis Maman a pris un chemin plutôt caillouteux avant de se garer dans une sorte de champ de pierres. « Une ancienne carrière » m’a dit Papa.

Maman et Papa ont alors pris deux gros cabas dans le coffre et une couverture à carreaux. On allait continuer à pied sur le chemin. Jetant un œil dans les sacs, je m’écriais « On va faire un pique-nique ! Chouette ! » Et je continuais le chemin avec un grand sourire…

Je n’étais pas au bout de mes surprises, car le chemin menait à un joli petit endroit au bord de la rivière.
« C’est le Guiers, me dit Papa. Le Guiers Vif. Il y en a un autre qui passe à Saint Laurent du Pont. C’est le Guiers Mort. Et ils se rejoignent tous les deux un peu plus loin. »
J’en restais bouche bée. Deux Guiers !
« C’est pour ça que chez Mamy, ça s’appelle Entre Deux Guiers ?
– Tout à fait. C’est drôle non ?
– Carrément ! »

Comme une autre famille avait eu la même idée que nous, nous leur avons fait un signe et nous nous sommes installés à l’écart. Maman a étalé la couverture sur la berge et Papa a commencé à sortir les victuailles : du taboulé, un cake au thon et aux olives, du saucisson, miam ! Et aussi de belles pommes bien rouges et une bouteille de limonade.
« On va manger et après on se baladera à la recherche de morilles. Avec un peu de chance, on en trouvera.
– C’est quoi les morilles, Papa ?
– Un champignon super bon, qui ressemble à une éponge.
– À une éponge ?
– Oui, un peu. Mais il faut avoir l’œil et être rapide, parce que les morilles, ça court vite !
– Tu me charries Papa, les champignons, ça court pas !
– Carrément ! »

Après avoir mangé, Maman a choisi de se détendre avec un livre, pendant que nous partions à la chasse aux morilles. Nous avons regardé partout et on n’en a pas trouvé. Mon père était un peu triste de ne pas avoir pu me montrer à quoi ça ressemblait en vrai, même s’il m’avait montré une photo sur son téléphone.
« Il faudrait venir de bon matin, là on voit que ça a déjà été fouillé. Mais c’est pas grave. Si on allait jouer au bord de l’eau ?
– Oh oui, Papa ! »

Au bord de l’eau, c’était vite dit.
Au bout de cinq minutes, nous avions les pieds trempés et nous avons finalement quitté nos chaussures. L’eau était vachement fraiche, mais comme il faisait grand soleil, et très chaud, ce n’était pas grave.

Comme je m’y attendais, Papa n’a pas pu résister à asperger Maman, et Maman a râlé.

Après nous avons fait des courses de bâtons : nous lancions chacun un petit bâton dans le courant et celui qui allait le plus vite jusqu’à l’arrivée avait gagné. J’adorais ça.
On a même fait un petit barrage et Papa m’a montré un poisson qu’il appelait un chavasseau. Il a essayé de l’attraper à la main, main le poisson s’est faufilé et il est allé se cacher un peu plus loin. C’est pas grave, de toute façon on voulait juste le regarder de plus près et on l’aurait relâché, m’a dit Papa.

Quand on a commencé à avoir un peu froid à barboter dans l’eau glacée, après être allés à l’aventure sur un petit îlot au milieu du Guiers, nous sommes revenus vers Maman.
« Je savais ce que ça allait donner, dit-elle. Vous avez des vêtements de rechange dans le sac qui est là.
– Oh merci Maman, parce que j’ai un peu froid dans mes vêtements mouillés. »

Une fois changés, nous nous sommes posés avec Maman, qui a sorti un jeu de cartes et nous avons joué au Rami jusqu’à ce que le soleil décline, en mangeant des biscuits.

« Il est temps de rentrer, a dit Maman.
– OK a dit Papa. »
Après un petit crochet pour dire bonjour à Mamy et Papy, de loin, dans leur jardin, nous avons repris la route vers Grenoble.
Dans la voiture, je regardai le soleil qui n’allait pas tarder à se coucher. J’étais heureux.